lundi 24 novembre 2008

CE N’EST PAS LA RUE QUI GOUVERNE (2)

BILAN DE LA SEANCE DU 18 NOVEMBRE 2008

La pièce présentée le 18 novembre en première lecture était définie comme une expérience de « Chantier/Théâtre » où, les tâches de gros-œuvre se trouvant pratiquement terminées,
les acteurs invitaient les spectateurs à poursuivre les travaux
« ce qui est le plus important,
ce n’est pas tant ce qui est écrit que ce qu’il reste à écrire »

Dans la première scène une troupe de comédiens s’apprête à répéter une pièce de Marivaux, « L’île des esclaves », représentée pour la première fois en 1725.
Dans ses « Causeries du Lundi », le 23 janvier 1854, Sainte-Beuve notait que « cette petite pièce de Marivaux est presque à l’avance une bergerie révolutionnaire de 1792 ».
Pour rendre les patrons « plus raisonnables », Marivaux imagine en effet une permutation des rôles ; les domestiques prennent la place de leurs maîtres, qui se trouvent alors dans l’obligation d’obéir et de travailler : « … et nous ne prenons que trois ans pour vous rendre sains, c'est-à-dire humains, raisonnables et généreux pour toute votre vie»
A noter que cette expérience en modèle réduit a, beaucoup plus tard, été réalisée en grandeur nature. Dans son allocution de clôture à la deuxième session du 1er Comité national de la Conférence consultative politique du Peuple chinois, le 23 juin 1950, Mao Tsé Toung en traçait le plan : « L’exercice de la dictature démocratique populaire implique deux méthodes.
A l’égard de nos ennemis, nous employons celle de la dictature ; autrement dit, aussi longtemps qu’il sera nécessaire, nous ne leur permettrons pas de participer à l’activité politique, nous les obligerons à se soumettre aux lois du gouvernement populaire, nous les forcerons à travailler de leurs mains pour qu’ils se transforment en hommes nouveaux.
Par contre, à l’égard du peuple, ce n’est pas la méthode de la contrainte, mais la méthode démocratique qui intervient ; autrement dit, le peuple doit pouvoir participer à l’activité politique ; il faut employer à son égard les méthodes démocratiques d’éducation et de persuasion, au lieu de l’obliger à faire ceci ou cela. »
C’est ainsi que Pu yi, le dernier empereur de Chine, après dix ans d’internement dans un camp de travail, a terminé sa vie comme jardinier. Du jour où il a su lacer ses chaussures lui-même ses « instructeurs » ont considéré qu’il était enfin devenu « un homme ».

***
Le spectacle étant terminé, après une discussion à bâtons rompus, le débat s’est orienté sur les conclusions qu’on pouvait en tirer.
On peut imaginer, comme le suggérait Sainte-Beuve, que l’action de « L’île des esclaves » se passe en 1792, le 21 septembre, c'est-à-dire le jour même où la Première République est proclamée. Par conséquent, à la fin de la pièce, les habitants de l’île des esclaves vont devoir doter cette République d’une Constitution.
Un premier projet présenté par Condorcet les 15 et 16 février 1793 est rejeté au motif qu’il instaure une sorte de « royauté des ministres ». Un second projet est adopté le 24 juin 1793 dont Saint-Just dira qu’on y trouve « plus de mouvements que de démocratie ».

Nous nous trouvons, pour l’heure, au lendemain d’une élection ratée au premier tour le 21 avril 2002, et d’une autre, ratée au second tour, le 6 mai 2007. Ratée pas seulement pour la gauche. Pourquoi ? Si le projet de Condorcet avait pour défaut d’instaurer une « royauté des ministres », au spectacle des deux ratages que nous venons de constater, que pouvons nous dire de la Constitution de la Vème République ? Que cette « monarchie républicaine » a fini par tourner, en 2007, à une royauté à la manière d’Ubu roi.
Nous sommes loin d’être sortis de l’Ancien régime.
Contrairement à ce qu’ont proclamé les Consuls de la République en 1799, la Révolution n’est pas finie, il nous faut la reprendre « aux principes qui l’ont commencée ».

D’un commun accord, les personnes présentes décident l’ouverture d’une « boite à idées » qui ferait pendant aux cahiers de doléances dressés par leurs ancêtres en 1789.
A cet effet, il est convenu de distribuer des « tickets de participation », à raison d’un ticket par personne. Chacun doit y inscrire un « mot clé », qui lui semble le mieux représenter ce qu’il attend de cette société.

RESULTAT DU DEPOUILLEMENT
20 réponses (toutes les personnes présentes ont rempli leur ticket de participation)

Solidarité
Solidarité
Liberté, Egalité, Fraternité ( par souci d’équilibre quelqu’un propose d’ajouter « sororité »
Egalité, Liberté ( Je ne sais pas ! Les « mots » que je désire ont perdu leur sens)
Humanisme
Citoyenneté mondiale
Responsable
Individualisme et démocratie
Participer
La base
Paix
Amour
Voir, regarder les autres
Epanouissement
Esprit critique
Indépendance
Cultiver son jardin
Quitter le monde bon dans un monde bon
Qu’est-ce que c’est, les choses sérieuses ?
Sans réponse

***
Si, comme le dit Pascal, « tous les hommes recherchent d’être heureux », on pouvait s’attendre à ce que le mot « bonheur » apparaisse au moins deux ou trois fois. Il semblerait que les participants ont préféré mettre l’accent sur les moyens d’y parvenir.
Cette expérience improvisée devrait pouvoir se renouveler. Mais à condition, cette fois, de cadrer le sujet. Toutes les suggestions sont les bienvenues.
Vous pouvez nous faire part de vos observations à l’adresse suivante

cercle.decour@free.fr

***

Un premier commentaire de Patrice Fontenille


1/ De mémoire et au premier abord j'ai eu l'idée de regrouper les mots par thématique. Pour s'apercevoir que nous étions tous plus ou moins formatés à l'expression de notre désir de notre conception de la société selon nos schémas de références à tout à chacun à l'expression du choix des mots opérés. Pour ensuite s'apercevoir qu'il y avait des mots fondamentaux qui pouvaient être porteurs des autres mots et former une sorte de guide pour ces derniers qui pourraient en intégrer le sens et le contenu mais dans un second degré de niveau de sens.

Je propose la réflexion et l'action suivantes: choisir les mots fondamentaux et classifier les autres mots par ordre de priorité et de sens à l'intérieur même de ces fondamentaux. Cela pourra peut-être amorcer un début de proposition de contenu pour notre future et prochaine Constitution. Car cela est le but de l'exercice si je ne me trompe!

L'idée et la méthode sont simples: associer la connaissance historique (reproduction des processus) avec la créativité de l'instant présent (l'imaginaire) dans le but de structurer la démarche pour obtenir un résultat - cette fois-ci - non formaté et réellement innovant au regard de notre pensée à la fois historique (passée) et moderne (présente).

2/ Pour rester dans l'idée du concept d'éducation populaire qui - si je comprend bien - nécessite à la fois un cadrage et un recadrage sur les réalités historiques et /ou philosophiques de nos ancêtres pourvoyeurs d'idées "neuves" au regard de notre actualité en plein mouvement, avec lequel je suis bien sûr plus d'accord, tant je découvre une façon différente de lire l'histoire et la philosophie et y acquière des connaissances et un partage de connaissances, je pense néanmoins qu'il faut oser et s'autoriser à sortir du cadre dans certaines circonstances et à certains moments.

C'est exactement de qui s'est passé mardi dernier. C'était fort instructif et le rendu a ainsi enrichi le contenu! Un débat s'en est allé qui a ouvert des pistes de réflexion, de façon de penser et éventuellement d'agir différemment. Cela ressort sous le terme "improvisation". Cependant même si c'était bien une improvisation elle a occasionné beaucoup plus que de simples réactions de spontanéité. La réflexion et les échanges qui ont suivis ont été d'une richesse et d'un dynamisme extraordinaire. Toutes les personnes présentes ont joué le jeu!

En conclusion, non seulement il me semble important de le reproduire, mais de le cultiver de façon parallèle à l'utilisation et l'apprentissage de la connaissance. Les deux dynamiques sont complémentaires et se portent l'une par rapport à l'autre et inversement.

Le changement c'est çà: apprendre à regarder l'autre différemment et s'inspirer de ses richesses mutuelles pour permettre d'avancer ensemble...

Osons penser autrement et agir autrement! Nous finirons ainsi à faire avancer les choses pour le mieux être d'une humanité renouvelée...

dimanche 23 novembre 2008

SALAIRE, PRIX et PROFITS

MARDI 16 décembre 2008
Economie - Cycle le travail - A propos de la crise et de l'ouvrage de Karl Marx
Exposé de Philippe BRANGER

K. Marx, "Salaires, prix et profits", 1865, extrait:"
Après avoir montré que la résistance périodiquement exercée de la part de l'ouvrier contre la réduction des salaires et les efforts qu'il entreprend périodiquement pour obtenir des augmentations de salaires sont inséparablement liés au système du salariat et sont provoqués par le fait même que le travail est assimilé aux marchandises et soumis par conséquent aux lois qui règlent le mouvement général des prix; après avoir montré, en outre, qu'une hausse générale des salaires entraînerait une baisse générale du taux du profit, mais qu'elle serait sans effet sur les prix moyens des marchandises ou sur leurs valeurs, maintenant il s'agit finalement de savoir jusqu'à quel point, au cours de la lutte continuelle entre le capital et le travail, celui-ci a chance de l'emporter. Je pourrais répondre de façon générale et vous dire que le prix du marché du travail, de même que celui de toutes les autres marchandises, s'adaptera, à la longue, à sa valeur; que, par conséquent, en dépit de toute hausse et de toute baisse, et quoi que fasse l'ouvrier, il ne recevra finalement en moyenne que la valeur de son travail, qui se résout dans la valeur de sa force de travail, laquelle est déterminée, à son tour, par la valeur des moyens de subsistance nécessaires à sa conservation et à sa reproduction, et dont la valeur est finalement réglée par la quantité de travail qu'exige leur production. Mais il y a quelques circonstances particulières qui distinguent la valeur de la force de travail, la valeur du travail, des valeurs de toutes les autres marchandises. La valeur de la force de travail est formée de deux éléments dont l'un est purement physique et l'autre historique ou social. Sa limite ultime est déterminée par l'élément physique, c'est-à-dire que, pour subsister et se reproduire, pour prolonger son existence physique, il faut que la classe ouvrière reçoive les moyens de subsistance indispensables pour vivre et se multiplier. La valeur de ces moyens de subsistance de nécessité absolue constitue par conséquent la limite ultime de la valeur du travail. D'autre part, la longueur de la journée de travail a également des limites extrêmes, quoique très extensibles. Ses limites extrêmes sont données par la force physique de l'ouvrier. Si l'épuisement quotidien de sa force vitale dépasse un certain degré, celle-ci ne pourra pas fournir journellement une nouvelle activité. Néanmoins, comme nous l'avons dit, cette limite est très extensible. Une succession rapide de générations débiles et à existence brève approvisionnera le marché du travail tout aussi bien qu'une série de générations fortes et à existence longue. Parallèlement à cet élément purement physiologique, la valeur du travail est déterminée dans chaque pays par un standard de vie traditionnel. Celui-ci ne consiste pas seulement dans l'existence physique, mais dans la satisfaction de certains besoins naissant des conditions sociales dans lesquelles les hommes vivent et ont été élevés. Le standard de vie anglais pourrait être réduit à celui de l'Irlande, le standard de vie d'un paysan allemand à celui d'un paysan de Livonie. L'importance du rôle que jouent à cet égard la tradition historique et les habitudes sociales, vous pourrez la voir dans l'ouvrage de M. Thornton sur la Surpopulation. Il y montre que les salaires moyens dans diverses régions agricoles d'Angleterre, encore de nos jours, diffèrent plus ou moins suivant les circonstances plus ou moins favorables dans lesquelles ces régions sont sorties du servage. Cet élément historique ou social qui entre dans la valeur du travail peut augmenter ou diminuer, disparaître complètement, de telle sorte que la limite physiologique subsiste seule. Du temps de la guerre contre les Jacobins, entreprise, comme disait le vieux George Rose, budgétivore et sinécuriste impénitent, pour mettre les consolations de notre sainte religion à l'abri des incursions de ces mécréants de Français, les honnêtes fermiers anglais que nous traitions si tendrement dans un chapitre précédent abaissèrent les salaires des ouvriers agricoles même au-dessous du minimum purement physique et firent ajouter, moyennant les Lois des pauvres, ce qui était nécessaire à la conservation physique de la race. C'était une manière glorieuse de transformer l'ouvrier salarié en esclave et le paysan libre et fier de Shakespeare en un indigent assisté.Si vous comparez les salaires normaux, c'est-à-dire les valeurs du travail dans différents pays et à des époques historiques différentes dans le même pays, vous trouverez que la valeur du travail elle-même n'est pas une grandeur fixe, qu'elle est variable même si l'on suppose que les valeurs de toutes les autres marchandises restent constantes. D’une comparaison analogue des taux du profit sur le marché il ressortirait que non seulement ceux-ci varient, mais que varient aussi leurs taux moyens.Mais, en ce qui concerne les profits, il n'existe pas de loi qui déterminerait leur minimum. Nous ne pouvons pas dire quelle est la limite dernière de leur baisse. Et pourquoi ne pouvons-nous fixer cette limite ? Parce que nous sommes bien capables de fixer les salaires minimums, mais non les salaires maximums. Nous pouvons seulement dire que les limites de la journée de travail étant données, le maximum des profits correspond à la limite physiologique la plus basse des salaires et que, étant donné les salaires, le maximum des profits correspond à la prolongation de la journée de travail encore compatible avec les forces physiques de l'ouvrier. Le maximum du profit n'est donc limité que par le minimum physiologique de salaire et le maximum physiologique de la journée de travail.Il est clair qu'entre ces deux limites du taux maximum du profit, il y a place pour une échelle immense de variations possibles. Son degré n'est déterminé que par la lutte incessante entre le capital et le travail; le capitaliste essaye continuellement d'abaisser les salaires à leur minimum physiologique et de prolonger la journée de travail à son maximum physiologique, tandis que l'ouvrier exerce constamment une pression dans le sens opposé. Là

jeudi 20 novembre 2008

MAI 68 et AUJOURD'HUI

Mardi 25 novembre 2008 à 17h
salle familiale des Fontaines
8 bis avenue de Milan 37200 TOURS

Soirée débat en compagnie de Gilles Richard
à propos de son livre "MAI 68... et après"
avec la participation d'André Narritsens
membre de l'institut d'histoire sociale de la CGT

MAXIMILIEN ROBESPIERRE Le Citoyen et le Démocrate

Jeudi 4 décembre 2008 à 20h30
Salle familiale des Fontaines
8 avenue de Milan TOURS 37200

En partenariat avec le Monde Diplomatique

Avec la participation de Claude MAZAURIC

« Depuis qu’on a assassiné Robespierre, la contre-révolution est faite »
Madame Pommier Boulangère à Paris le 7 janvier 1795

Albert Mathiez
« Pourquoi nous sommes robespierristes ? »
(Conférence prononcée le 14 janvier 1920 à l'Ecole des hautes études sociales)
Etudes sur Robespierre, Messidor, 1988, p.33 et 35


… Nous aimons Robespierre parce qu'il a incarné la France révolutionnaire dans ce qu'elle avait de plus noble, de plus généreux, de plus sincère. Nous l'aimons pour les enseignements de sa vie et pour le symbole de sa mort. Il a succombé sous les coups des fripons. La légende, astucieusement forgée par ses ennemis qui sont les ennemis du progrès social, a égaré et jusqu'à des républicains qui ne le connaissent plus et qui le béniraient comme un saint s’ils le connaissaient. Ces injustices nous le rendent plus cher.
Nous aimons Robespierre parce que son nom, maudit par ceux-là mêmes qu'il a voulu affranchir, résume toutes les iniquités sociales dont nous voulons la disparition. En consacrant nos efforts et nos veilles à réhabiliter sa mémoire, nous ne croyons pas servir seulement la vérité historique, nous sommes sûrs de faire chose utile pour cette France, qui devrait rester ce qu'elle était au temps de Robespierre, le champion du droit, l'espoir des opprimés, l’effroi des oppresseurs, le flambeau de l'univers.
Robespierre et ses amis furent grands parce qu'ils ont compris que leur action gouvernementale, si résolue fût-elle entre leurs mains, serait cependant impuissante à galvaniser les énergies du peuple français, s'ils ne l'associaient pas, ce peuple, directement à l'exécution des lois, par une politique de confiance et de clarté. Il est temps que les hommes d'État, qui ont aujourd'hui la mission redoutable de panser les plaies de la patrie, s'inspirent de leurs exemples….
Nous espérons que du fond de l'abîme que nous côtoyons surgira enfin une démocratie organisée et vivante, une démocratie invincible, parce qu'elle sera juste et fraternelle, cette cité d'égalité pour laquelle Robespierre et Saint-Just sont morts, cette cité de liberté pour laquelle tant de millions d'obscurs héros ont versé à flot leur sang généreux.
Telles sont les raisons, les raisons à la fois lointaines et proches, à la fois scientifiques et pratiques, pour lesquelles nous nous proclamons robespierristes.



LA TETE A LA QUEUE
ou Première lettre de Robespierre à ses continuateurs

« J’ai vécu mes amis ; un voile funèbre me sépare de vous ; je suis jugé dans ces lieux ; le tribunal des enfers dédaignant une politique que j’avais crue conforme à la sienne, n’a point fait mon procès, d’après ma loi du 22 prairial.
Mon plus grand supplice est de traverser chaque jour l’Elisée, où le spectacle du bonheur éternel de mes victimes me fait plus souffrir ici-bas que je n’ai souffert là-haut, les dernières vingt quatre heures de mon existence. Moi, les voir heureux !... et ne pouvoir les faire trembler ! Moi, voir la paix régner quelque part, et n’avoir plus les moyens de la troubler…
….
Peuple si tu veux renoncer à tes droits sacrés, à ta constitution, à ta liberté ; si tu veux te donner des maîtres, si tu crois que je suis coupable de ne pas leur obéir comme une tête de bétail, prends ma vie ; mais je ne dois, ni ne veux être jugé que par toi, toi seul est souverain. »
***
S’il faut en croire Reinhard, lexicographe de la Révolution en 1796, l’expression « faire la queue » se répand en 1794 par allusion aux dernières paroles de Robespierre. Au bourreau qui allait le guillotiner, celui-ci aurait prophétisé : « On me coupe la tête, mais on ne me coupera pas aussi facilement la queue. » Entendez, celle de sa perruque, à laquelle il n’avait pas renoncé. Cette queue désignait métaphoriquement son parti, qui allait venger sa mort. Depuis, selon Reinhard, les rassemblements aux portes des boulangers, qui font file, sont appelés des queues, car on craignait qu’ils soient fomentés par « les débris de la Jacobinière, ou autrement la queue de Robespierre », pour susciter des émeutes. Les historiens désignent par cette expression les cent cinq robespierristes guillotinés entre le 10 et le 18 thermidor.
Quoi qu’il en soit, la « queue » est un parisianisme qui étonne Stendhal, lors de son séjour en 1803 : « Il se forme ici, à la porte des spectacles, les jours qu’ils sont intéressants, une queue, c’est-à-dire une longue file d’amateurs qui prennent leur billet chacun à son tour », écrit-il à sa sœur Pauline, restée à Grenoble. Sans doute l’expression a-t-elle été popularisée par la Révolution, mais malheureusement pour la légende, elle est attestée dans le Moniteur universel avant l’exécution de l’Incorruptible : Dès le 25 mai 1794 (Robespierre est mort le 28 juillet), on dénonce les marchands « comme étant les principaux moteurs des rassemblements qui ont lieu journellement, et connus sous le nom de queues ». La légende a toujours raison : le XIXe siècle connaît sous le nom de « queue de Robespierre » les fanatiques attardés d’un parti moribond.
Aujourd’hui encore, la « queue d’un parti » désigne les derniers partisans d’un grand homme oublié, ou les derniers disciples d’une doctrine désuète.

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vendredi 7 novembre 2008

CE N'EST PAS LA RUE QUI GOUVERNE

ou L’impromptu de nulle part et de n’importe où
UNE EXPERIENCE DE CHANTIER/THEATRE
par Claude GRELLARD
soirée du 18 novembre 2008

« Du passé faisons table rase… nous ne sommes rien, soyons tout »
(L’internationale)

« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le fera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »
Albert CAMUS ( Discours de Suède )

L’action se passe dans « l’île des esclaves », une sorte de République « à part ». L’article 2 de sa Constitution dit que cette République a pour devise « Un Président fort pour un peuple fort » et que son principe est : « Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », sans préciser quel sens il faut donner à l’expression « pour le peuple » : « au profit » du peuple ? « à la place » du peuple ? ou les deux à la fois ?
Finalement, c’est le Président « tout en haut » qui décide, à lui seul, comment le peuple « tout en bas » doit vivre. Le petit peuple n’est pas fait pour gouverner.

L’histoire de cette île est la longue suite des relations aveugles que les hommes entretiennent avec la matière dont ils sont faits. Elle de divise en trois périodes.

PREMIERE PERIODE
La première période a commencé il y a des milliards d’années, à l’époque où la terre n’était rien qu’un tas de poussière, un amas de matières premières sans valeur ajoutée. Un jour les choses se sont mises à bouger, à se fabriquer toutes seules, au hasard de rencontres entre des éléments qui n’avaient aucune raison de s’accoler et qui l’ont pourtant fait sans projet préalable. Si les choses bougeaient, c’est que la vie, quelque part, remuait doucement comme un dormeur sous ses couvertures. Plus tard, beaucoup plus tard, les animaux sont apparus.
L’humanité ensuite a commencé à prendre forme sans jamais s’en apercevoir. Tout ce travail s’est fait spontanément, sans le moindre apport de main d’œuvre. Le temps a fait son œuvre tranquillement sans rien demander à personne. Car, il s’agissait bien d’un travail, au sens mécanique du terme, le travail étant, par définition, le résultat de l’action d’un effort appliqué pendant un certain temps sur un objet, soit pour le déformer soit pour le déplacer, ayant dans tous les cas pour effet de le conduire à changer d’état. Au vu du caractère accidentel, mystérieux, en apparence irrationnel de ces phénomènes physiques on peut « logiquement » se demander, si par hasard, dans un recoin de la matière, il ne trainerait pas quand même un bout de métaphysique qui nous permettrait d’expliquer même l’inexplicable.
Il ne faut pas s’y fier : la matière est un chat qui ne dort que d’un œil. Contrairement à ce que nous supposons d’habitude, elle n’est pas inerte mais bien vivante. Sous ses dehors tranquilles, elle est chargée jusqu’à la gueule du pouvoir de se transformer elle-même, voire de se détruire. Au point de se payer le luxe d’avoir des ouvriers pour le faire à sa place sans savoir ce qu’ils font.

DEUXIEME PERIODE
La seconde période a commencé il y trois millions d’années environ. Les hommes qui s’étaient toujours jusque là « laissés faire », se comportant comme des « objets » soumis aux forces de la nature, les hommes ont à partir de cette époque entrepris d’exister par leurs propres moyens sans avoir à compter sur personne d’autre qu’eux-mêmes. Afin de vivre mieux ils se sont mis à « travailler » pour leur propre compte, à tailler du silex, à fabriquer toutes sortes d’outils. On en a retrouvé des centaines. Ils se sont mis aussi à fabriquer des mots qui leur permettaient de communiquer plus facilement. On ne sait pas très bien quand ils ont vraiment commencé à s’exprimer. Il n’existe pas de fossiles des premières paroles, aucune trace d’aucun discours.
Toujours est-il qu’à partir de ce moment là ils ont cru qu’ils avaient désormais les moyens de ne plus « se laisser faire », qu’ils pouvaient maîtriser le monde. Alors que tout au long de la précédente période ils étaient des « objets », ils avaient maintenant le pouvoir, ou plus exactement ils croyaient avoir le pouvoir de donner consistance à leurs rêves, de les « objectiver », autrement dit de prendre leurs désirs pour des réalités ; ils se jugeaient capables de transformer le monde.
Ils ont alors perfectionné leurs outils, inventé des leviers leur permettant de soulever des charges au dessus de leurs forces, et même des machines qui pouvaient travailler pour eux.
En particulier dans l’agriculture où, du jour au lendemain, on eut de moins en moins besoin de bras ; alors que l’industrie de son côté consommait de plus en plus de main d’œuvre.
De sorte que les paysans se firent engager comme ouvriers dans des usines. Faute de « savoir faire » on leur demandait simplement d’être au service des machines. Alors que les outils, rangés au magasin des accessoires devenaient peu à peu des pièces de musée.
Puis on en est venu à construire des usines sans travailleurs équipées de machines intelligentes, dressées à fabriquer n’importe quoi. Privés de leurs outils, les ouvriers se trouvèrent exclus du marché du travail. N’ayant plus aucun moyen d’existence ils sont, à leur tour, devenus des « objets » inutiles, bons à jeter à la décharge.
Dans le secteur des services la situation n’est pas beaucoup plus brillante. La aussi des machines, de plus en plus « savantes », ont pris le pouvoir. Les ordinateurs de la Bourse sont capables d’effectuer en un clin d’œil des transactions financières portant sur des milliards de dollars sans qu’il soit possible de suivre le détail des opérations en raison de la dissémination des comptes. Sur tous les écrans de contrôle les chiffres se volatilisent et disparaissent avant qu’on ait eu le temps de les lire. Et l’argent s’évapore comme par miracle. Les banquiers, incapables de maîtriser le mouvement des capitaux en arrivent à mettre la clé sous la porte.

TROISIEME PERIODE
Par manque d’instruments de surveillance le système s’est emballé. Alors qu’ils avaient cru pouvoir domestiquer la matière, les occupants de l’île des esclaves se trouvent maintenant dépassés par les transformations qu’ils ont déclenchées : changement climatique, marées noires, pollution de l’air, pluies acides, contamination des nappes d’eau, appauvrissement des ressources, dégradation des sociétés, famines, etc…


Sur l’île des esclaves, comme partout ailleurs, les « forces de travail » sont retournées comme aux premiers temps dans le champ de la démesure et de l’incontrôlable. Les « éléments naturels », mis devant le fait accompli, doivent tant bien que mal compenser le désordre occasionné par les hommes et régler la situation en établissant un nouvel équilibre de forces dont les hommes à leur tour devront désormais tenir compte.

Aux dernières nouvelles, les occupants de l’île des esclaves sont en train de déménager.
Cette île, évidemment, n’existe pas…
et toute cette histoire est un conte à dormir debout… ou l’œuvre d’un esprit dérangé…

LE 13 MAI 1958 ET SES SUITES : LES CONDITIONS DE LA NAISSANCE DE LA 5e REPUBLIQUE

par Gilles RICHARD
soirée du 21 octobre 2008


Gilles Richard est un specialiste de l'histoire des droites au XXe siècle. Il enseigne à l'Institut d'études politiques de Rennes.
BIBLIOGRAPHIE
§ Le Centre national des indépendants et paysans de 1948 à 1962, ou l’échec de l’union des droites françaises dans le parti des modérés, Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve-d'Ascq, 2000
§ La recomposition des droites françaises à la Libération, 1944-1948, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2004
§ Les permanents patronaux : éléments pour une histoire de l’organisation patronale dans la première moitié du XXe siècle, Centre de recherche Histoire et Civilisation de l’Europe occidentale, Metz, 2005
§ Les partis et la République. La recomposition du système partisan 1956-1967, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2008
§ Mai 68... et après ? Une nouvelle donne politique, Centre régional de documentation pédagogique, Bordeaux, 2008
§ Gilles Morin et Gilles Richard (dir.), Les deux France du Front populaire. Chocs et contre-chocs, L'Harmattan, 2008

mercredi 5 novembre 2008

PROGRAMME des soirées 2008/2009

suite à l’Assemblée générale du 16-09-08


_Mardi 18 novembre 2008_ – Création - cycle Le pouvoir – Lecture d’une pièce de théâtre en chantier « Ce n’est pas la rue qui gouverne » - sur une idée de Claude Grellard… présentée par trois acteurs.

Jeudi 4 décembre – Soirée en partenariat avec Les Amis du Monde Diplomatique : « Maximilien Robespierre le citoyen et le démocrate », par Claude Mazauric agrégé d’histoire, docteur ès-lettres, professeur émérite de l’Université de Rouen – Salle familiale des Fontaines, 8 bis avenue de Milan à Tours à 20 heures 30.

Mardi 16 décembre_ –Economie – cycle Le travail : A propos de la crise et de l’ouvrage de Karl Marx: « Salaires, prix et profits » – présentation de Philippe Branger.

_Mardi 6 janvier 2009_ – Actualité - cycle Le travail : « Souffrance et harcèlement au travail ; droit au travail et/ou devoir de travail »- présentation de Gérard Lecha et Thierry Foullon.

_ Mardi 3 février _- Littérature et théâtre - cycle Le pouvoir – A propos d’une pièce de théâtre de Maurice Joly (1864) : « Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu », présentée par Gilbert Déverines et Françoise Solignac : séance exceptionnelle à partir de 19 heures 45 avec la vidéo de la pièce, suivie d’une pose désaltérante et du débat.

_ Mardi 10 mars_ – Actualité/sociologie - cycle Le travail : Gérard Lecha se propose de traiter un thème qui pourrait être libellé : « Réduction de la nécessité du travail humain avec l’automation et
l’informatique et théorisation sur l’individu hypermoderne, selon Eugène ENRIQUEZ »

_Mardi 7 avril_ – Théorie – cycle Le travail : « Classes et conscience de classe, regards sur l’actualité » présentation de Jacques Ducol.

_Mardi 5 mai_ – Utopie – cycle Le travail : Vivre sans travailler ? Jean-Louis Bargès ouvrira le débat.

_Mardi 26 mai_ – Biographie : « Edouard Vaillant, militant socialiste » par Philippe Branger.

Ces soirées se tiendront - sauf indication contraires - à 20 heures 30,
salle des Associations, passage Chabrier à Saint-Pierre-des-Corps

_A mi-juin, de préférence un vendredi_… Pour terminer l’année d’étude soirée festive: « Les mots de l’Internationale» (le marxisme d’Eugène Pottier ?) ; projection de « La barricade du Point du Jour », une des dernières de La Commune de Paris ; casse-croûte en commun.

Pour nous contacter : claude.grellard@free.fr ou ducol.j.g@orange.fr
Ou 02 47 45 14 42
Site : http://www.jacques-decour.blogspot.com

LE TRAVAIL : SERVITUDE OU LIBERTE ?

Exposé présenté par Jacques DUCOL le 8 octobre 2008

Introduction

1) Etymologie de travail : le « tripalium » (tres pali)
2) Kant : « L’homme est le seul animal qui soit voué au travail »

I/ La pensée grecque : grandeur et limites

1) L’homme comme être différent par ses qualités, par son activité

1-Le mythe de Prométhée
2-L’homme comme être étonnant selon Sophocle (Antigone)
3-Polémique sur l’importance du rôle de la main
1-Anaxagore : « L’homme est le plus raisonnable des animaux parce qu’il a des mains »
2-Aristote : « Ce n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent, mais c’est parce qu’il est le plus intelligent qu’il a des mains »
ð la main = outil qui remplace plusieurs outils
ð elle est un don de la nature

2)- Première approche de la question de la division du travail : Platon, République, II

1-Problème posé : comment satisfaire la pluralité des besoins qui a conduit à la vie en communauté ?
2-Deux solutions possibles :
1-chacune des activités est exécutée par le même homme
2-chaque travailleur se spécialise dans l'une des activités
3-Pourquoi cette seconde solution est-elle la meilleure ?
1-chacun des dispositions naturelles qui ne conviennent pas à tout (c'est la différence naturelle qui rend les hommes complémentaires)
2-la tâche est mieux effectuée quand on a que celle-ci à faire : la spécialisation permet de développer l'habileté, de diminuer la peine, d'améliorer la qualité du produit.
3-on évite également les pertes de temps qui sont inhérentes au passage d'une tâche à une autre
4-Différence entre la conception antique et les perspectives modernes

3) Distinctions aristotéliciennes

1-Oïkos / polis

1-l'oïkos: la maison, le lieu du travail, porteur d'aucune moralité, puisqu'il nécessite une dépense physique qui ne peut être le fait que d'êtres inférieurs (cf étymologie de économie)
2-la polis: lieu de l'activité morale et politique, celle de l'homme libre

2-Poiesis (production, moyen) / praxis (activité, fin en soi)
=> fixation du statut de l'esclave : sa nature instrumentale (cf les « navettes »): les Grecs sont faits pour la liberté, les Barbares pour la servitude

3- Valeur d'usage et valeur d'échange

1-exemple de la chaussure
2-la marchandise comme l’aspect développé de la forme valeur simple
« 5 lits = une maison, 5 lits = tant et tant d’argent… » Ethique à Nicomaque, I
3-le besoin et la rareté, c’est à dire le besoin pratique comme solution


4)-Aspects critiques

1-Marx
1-Importance d’Aristote : l’idée d’une « égalité d’essence », cad la découverte d’un rapport d’égalité dans l’expression de la valeur, mais « insuffisance de son concept de valeur »
2-L’explication
a-« Ce qui empêchait Aristote de lire dans la forme valeur des marchandises que tous les travaux sont exprimés ici comme travail humain indistinct et par conséquent égaux, c’est que la société grecque reposait sur le travail des esclaves et avait pour base naturelle l’inégalité des hommes et de leurs forces de travail » (Le Capital, I, 1, La Marchandise)
b-« C'est donc seulement le quantum de travail ou le temps de travail nécessaire à la production d'une marchandise qui en détermine la valeur » (idem)

2-Insuffisante de la dialectique antique

1-L’extériorité du travail productif : la fin véritable c’est la praxis = liberté (# poiesis = servitude)
ex : critique par Aristote de l’hellénisme d’Alexandre
2-Impossibilité de penser la contradiction (exemple de la diagonale du carré)
a-dialectique subjective chez Platon et Aristote
b-le principe de non-contradiction
-exemple de la diagonale du carré
-# Hegel penseur de l’unité des contraires

II / La dialectique hégélienne du maître et de l’esclave

1) Un nouveau regard à partir de la fin du Moyen-Âge

1-Lien avec le développement sans précédent des forces productives lié à l’apparition du capitalisme marchand à la fin du Moyen-Âge

2-Rôle du christianisme

1-Au début les distinctions grecques ne sont pas remises en cause, mais renforcées avec la théorie du péché originel
=> le travail, comme caractéristique d'une humanité déchue, reste lié à l'indignité sociale (cf. la tripartition sociale dans la société féodale)
2-Cependant :
a-possible rédemption par le travail (le travail des moines par exemple)
b-importance du protestantisme : lien entre la vocation et le salut chez Luther (cf la thèse de Max Weber

3-Une nouvelle pensée économique
1-L’exemple de Locke : « C'est bien le travail qui donne à toute chose sa propre valeur »
2-le travail engage l'être humain tout entier : la poiesis et la praxis sont mises sur le même plan

2) Analyse du Texte 1 : Hegel, Phénoménologie de l'esprit, tome 1, p 165 (Aubier)

« C'est par la médiation du travail que la conscience vient à soi-même. Dans le moment qui correspond au désir dans la conscience du maître, ce qui paraît échoir à la conscience servante, c'est le côté du rapport inessentiel à la chose, puisque la chose dans ce rapport maintient son indépendance. Le désir s'est réservé à lui-même la pure négation de l'objet, et ainsi le sentiment sans mélange de soi-même. Mais c'est justement pourquoi cette satisfaction est elle-même uniquement un état disparaissant, car il lui manque le côté objectif ou la subsistance. Le travail, au contraire, est désir réfréné, disparition retardée: le travail forme. Le rapport négatif à l'objet devient forme de cet objet même, il devient quelque chose de permanent, puisque justement, à l'égard du travailleur, l'objet a une indépendance. Ce moyen négatif, ou l'opération formatrice, est en même temps la singularité ou le pur être-pour-soi de la conscience. Cet être-pour-soi, dans le travail, s'extériorise lui-même et passe dans l'élément de la permanence; la conscience travaillante en vient ainsi à l'intuition de l'être indépendant, comme intuition de soi-même ».

3) Signification d’ensemble

1-Le maître se rapporte ainsi à la nature par l'intermédiaire de l'esclave.

1-Le maître se servira de l'esclave comme s'il était son propre corps, pour transformer la nature, pour travailler.
2-Il n’a donc plus de rapport avec la nature que par l'intermédiaire, par la médiation de l'esclave.
3-Le maître a perdu tout rapport proprement humain avec la nature : il ne lui impose plus, par le travail, une forme propre à satisfaire ses besoins, il n'a plus qu'à en jouir sans la transformer, comme le fait l'animal.

2-C’est le travail qui transforme la servitude en maîtrise.

1-Le maître : il satisfait complètement son désir, il parvient dans la jouissance à la négation complète de la chose (la jouissance du maître n'aboutit qu'à un « état disparaissant », le maître ne fait que consommer comme un animal), mais à cause de son oisiveté, il ne peut dépasser le stade de son désir immédiat.
2-L’esclave :
a- se heurte par contre à l'indépendance de l’être et des choses ;
b- il ne peut que transformer le monde et le rendre ainsi adéquat au désir humain ;
c- mais précisément dans cette opération, qui paraît inessentielle, l'esclave devient capable de donner à son être-pour-soi la substance et la permanence de l’être-en-soi : non seulement en formant les choses l'esclave se forme lui-même, mais encore il imprime cette forme qui est celle de la conscience de soi dans l'être, et ce qui trouve ainsi dans son œuvre c'est lui-même ;
d- le travail de l'esclave a abouti à la contemplation de l'être indépendant comme de lui-même (objectivation).

3- Le travail de l'esclave comme libération

1-S’il incarne d'abord la volonté du maître (= tout travail est d'abord contrainte, asservissement), s’il est médiation entre le maître et la réalité matérielle, l’esclave produit des objets durables.
a-il transforme la réalité concrète, la nature, et ce qu'il produit s'inscrit dans la durée (modification des conditions d'existence, acquis et biens qui s'accumulent etc.)
b-en se heurtant à l'objet, l'esclave en explore la structure et son travail est à l'origine de toute science.

2-En transformant la réalité, l'esclave se transforme lui-même (cf « le travail forme »), car transformer la nature, en la façonnant pour lui imposer l'empreinte humaine, c'est extérioriser l'homme, faire passer le sujet dans l'objet par le travail.

3-En montrant que tout progrès dans la libération de l'homme passe par la conscience de l'esclave, Hegel souligne que la formation de l'homme se fait par le travail et que, finalement, c'est celui qui travaille qui est le véritable créateur de l'histoire.







III / Perspectives critiques

Sartre : « Bien qu'il prenne d'abord la figure de l'asservissement, le travail est l'élément libérateur de l'opprimé »

1) Une donnée de l’anthropologie moderne : l’homme s’est constitué par le travail

1-Marx : le travail comme manifestation de qualités proprement humaines

Texte 2 : Le Capital, livre I, tome 1, 1967 Editions Sociales, 180-181
« Notre point de départ c'est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l'homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ces cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais des architectes de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur. Ce n'est pas qu'il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d'action, et auquel il doit subordonner sa volonté. Et cette subordination n'est pas momentanée. L'oeuvre exige pendant toute sa durée, outre l’effort des organes qui agissent, une attention soutenue, laquelle ne peut elle-même résulter que d'une tension constante de la volonté. »

2-Un constat de l’anthropologie: le travail et la technique au fondement l’hominisation

1-Le processus d’hominisation : « L'hominisation commence par les pieds » (Leroi-Gourhan)
a- au départ, l'humanité espèce la plus démunie
b-l'hominisation, c'est l'accès à la culture, à l'histoire par la technique (cf le film La guerre du feu)
c- l'homme « candidat à l'humanité » (Jacquard)

2-G.Bataille: l’idée d’une double négation de la nature qui serait constitutive de l’humanité
a- « L’homme est l’animal qui n’accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie. Il change ainsi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent un monde nouveau, un monde humain. L’homme , parallèlement se nie lui-même, il s’éduque, il refuse par exemple de donner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre auquel l’animal n’apportait pas de réserve » (L’Erotisme, p.238-239)
b-dans le passage de l'animalité à l'humanité, l'homme s'est constitué à la fois
-contre la nature par le travail ;
-et contre sa nature par l'éducation, les interdits notamment religieux, la culture.

2) La critique de Marx

1- La dialectique sujet / objet : une problématique encore hégélienne

Texte 3 : Manuscrits de 1844, Editions sociales, 1968, p.132

« La grandeur de la Phénoménologie de Hegel et de son résultat final - la dialectique de la négativité comme principe moteur et créateur - consiste donc, d'une part, en ceci, que Hegel saisit la production de l'homme par lui-même comme un processus, l'objectivation comme désobjectivation, comme aliénation et suppression de cette aliénation ; en ceci donc qu'il saisit l'essence du travail et conçoit l'homme objectif, véritable parce que réel, comme le résultat de son propre travail. Le rapport réel actif de l'homme à lui-même en tant qu'être générique ou la manifestation de soi comme être générique réel, c'est-à-dire comme être humain, n'est possible que parce que l'homme extériorise réellement par la création toutes ses forces génériques - ce qui ne peut à son tour être que par le fait de l'action d'ensemble des hommes, comme résultat de l'histoire, - qu'il se comporte vis-à-vis d'elles comme vis-à-vis d'objets, ce qui à son tour n'est d'abord possible que sous la forme de l'aliénation »

Texte 4 : Manuscrits de 1844, Editions sociales, 1968, p.60

« Or, en quoi consiste l'aliénation du travail ? D'abord, dans le fait que le travail est extérieur à l'ouvrier, c'est-à-dire qu'il n'appartient pas à son essence, que donc, dans son travail, celui-ci ne s'affirme pas mais se nie, ne se sent pas à l'aise, mais malheureux, ne déploie pas une libre activité physique et intellectuelle mais mortifie son corps et ruine son esprit. En conséquence, l'ouvrier n'a le sentiment d'être auprès de lui-même[1] qu’en dehors du travail et, dans le travail, il se sent en dehors de soi. Il est comme chez lui quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il ne se sent pas chez lui. Son travail n'est donc pas volontaire, mais contraint, c'est du travail forcé. Il n'est pas la satisfaction d'un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. Le caractère étranger du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu'il n’existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste. Le travail extérieur, le travail dans lequel l'homme s’aliène, est un travail de sacrifice de soi, de mortification. Enfin, le caractère extérieur à l'ouvrier du travail apparaît dans le fait qu'il n'est pas son bien propre, mais celui d'un autre, qu'il ne lui appartient pas, que dans le travail l'ouvrier ne s'appartient pas lui-même, mais appartient à un autre. »

=> dépassement de Hegel :
1-Hegel : schéma qui se révèle au moyen de l’histoire concrète qui lui donne sens
2-Marx : construction rendue possible par les développement matériels de l’histoire

2-De l’objectivation à l’aliénation : la force de travail

1-Des précurseurs
a-Hobbes : l'idée que le travail est un bien qui s'échange:
« Le travail humain est lui aussi un bien susceptible d'être échangé en vue d'un avantage comme n'importe quoi d'autre » (Léviathan, p 262)
b-approfondissement chez A.Smith : l'échange fondamental se fait entre le capital et les salariés, le capital commande le travail d'autrui.

2-Analyse de la force de travail
a- définition
b- pour Marx, dans le système capitaliste, le travail subit une dénaturation profonde:
c- différence entre la valeur de la force de travail et la valeur des produits qu'elle crée dans un temps déterminé:
=> la production de survaleur (ou plus-value)
=> aliénation sociale du travailleur : de l'affirmation de l'être à la négation de l'être (idée de dépossession)

3) Les conditions modernes de l’aliénation

1-Les conditions de travail aliénantes

1-La condition ouvrière au siècle dernier
2-Nietzsche : contre les « apologistes du travail »
a-la glorification du travail comme volonté d'anéantir l'individu ;
b-critique de « l’appât pour le gain », des« satisfactions mesquines et régulières » ;
c-solution dans le lien travail / plaisir qui ne peut être réservé qu’à une élite (artistes, oisifs …)
3-Les questions d’actualité : 35 heures, ouvertures le dimanche, pressions diverses, chômage etc.

2-La révolution constante des forces productives

1-Le développement de la mécanisation et de l'automation comme nécessité technique et économique (cf Marx)
2-Conséquences
a-augmentation de la productivité
b- la spécialisation et la parcellisation du travail (cf Charlot dans Les Temps Modernes)
c-mais aussi possibilité de l’amélioration du niveau de vie et des loisirs ?
Bergson: la question du contenu du temps libre (L’Energie spirituelle)
« …si l'ouvrier emploie ce supplément de loisir à autre chose qu'aux prétendus amusements qu'un industrialisme mal dirigé a mis à la portée de tous, il donnera à son intelligence le développement qu'il aura choisi, …si l'économie de temps et de travail, réalisée ainsi par l'ensemble de la nation, permettait de pousser plus loin la culture intellectuelle et de développer les vraies originalités ».
=> la question du temps libre comme enjeu de classe

3-Le travail à la fois comme levier de la domination qui s’exerce sur les femmes et de leur émancipation

1-Platon précurseur des luttes féministes ?
=> La différence de nature entre hommes et femmes n’interdit pas qu’hommes et femmes puissent et doivent s’adonner aux mêmes travaux dans la société politique, les deux sexes devant participer à toutes les tâches et s’y préparer également:
« Si nous devons utiliser les femmes aux mêmes tâches que les hommes, ce sont les mêmes enseignements que nous aurons à leur donner »(République, V, Place de la femme dans l’Etat)
=> conception en avance sur son temps et sur notre temps ?

2-Un constat (cf le groupe Genre, travail et mobilité – GMT) : objectivement, socialement et matériellement, ce sont d’abord l’organisation du travail et sa division
a-qui permettent la domination des hommes sur les femmes (suprématie du masculin en termes de qualification, de salaires, de carrière, voire plus largement en termes de pouvoir d’action
b-mais qui en même temps rendent possible leur émancipation : sortie de l’espace domestique pour entrer dans « l’industrie publique » (Engels), luttes (ouvrières, infirmières, vendeuses …) qui montrent que conscience de classe et conscience de sexe ne s’opposent pas :
« Les deux consciences sont constitutives l’une de l’autre, tout comme les deux structures, capitalisme et patriarcat, se reproduisent l’une l’autre » (Danièle Kergoat, Les ouvrières, 1982)
c-qui sont au fondement de la production sociale des sexes => ne pas survaloriser la sexualité ou la domination symbolique
-le symbolique nécessaire pour prendre en compte les médiations à travers lesquelles s’exerce la domination masculine (Bourdieu) : ex., la violence symbolique
- la construction ou la production sociale des sexes repose d’abord sur une base matérielle, celle de l’organisation et la division du travail concrète telle qu’elle se rencontre dans la famille et dans le système productif, en articulation avec d’autres rapports sociaux, en particulier les rapports de classe ;

3-Un concept : celui de rapports sociaux de sexe :
a-s’articule étroitement au concept de classe : cet antagonisme entre la classe des hommes et celle des femmes s’articule avec celui qui oppose les propriétaires des moyens de production à l’ensemble des salariés
b-le mode de production domestique ne peut être pensé en dehors du mode de production capitaliste
c-nécessité de distinguer rapport social (conflits d’intérêts) et relation sociale (relation concrète entre groupes et individus dans laquelle ne prime pas toujours le conflit)



Conclusion : Peut-on alors parler de valeur morale et sociale du travail?

1-L'activité laborieuse nous met en présence de l'autre, est constitutive de la sociabilité, et donc de notre humanité (les désastres matériels et moraux du chômage…)

2-Double dimension comme enjeu de classe
1- objective : s'affirmer comme individu social, comme personne, comme citoyen
2- subjective : la rémunération

3-Fonction équilibrante du travail : par la réalisation d'un objectif (moyen => fin), il discipline de la pensée et du corps« Il est de la plus haute importance d’apprendre aux enfants à travailler. L’homme est le seul animal qui soit voué au travail… Et où le penchant au travail peut-il être mieux cultivé que dans l’école ? L’école est une culture forcée. C’est rendre un très mauvais service à l’enfant que de l’accoutumer à tout regarder comme un jeu… » (Kant, Réflexions sur l’éducation )
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